Voici notre communiqué sur le flash crash en cours depuis quelques jours sur les marchés mondiaux, nos convictions et notre gestion.
Nous connaissons en effet depuis quelques jours une sortie brutale de la longue léthargie haussière des marchés actions mondiaux : avec une baisse de près de 10% du Dow Jones en à peine quatre jours, de près de 10% également pour le Nikkey au Japon en une semaine, baisse d’environ 7% sur 5 séances de bourses. Dans la journée d’hier, le Dow Jones a frôlé les 7% de baisse en une seule journée, comme le Japon cette nuit.
Un dépassement de 7% de baisse en une journée aurait déclenché la fermeture de ces bourses. L’indice de la peur, le VIX, qui mesure la volatilité sur les marché, est subitement passé de 12 environ à 37… avec une volatilité supérieure à ce qui s’est passé lors de la faillite de Lehmann Brother.
Nos portefeuilles ont, conformément à nos convictions, plutôt très bien traversé cette crise jusqu’à présent : nous ne sommes que très peu exposés au marché, de façon directionnelle. Nous sommes préparés à des hausses de taux d’intérêts plus fortes et nombreuses que ne l’attend le marché, depuis longtemps; nous sommes préparés à ce que ces hausses de taux d’intérêts aux USA aient des répercussions sur l’ensemble des classes d’actifs (actions, obligations, devises) ainsi que sur les politiques des banques centrales (Fed, BoJ, BCE).
C’est précisément ce que découvrent les marchés ces jours-ci.
La grenouille s’affole
Vous connaissez la fable de la mythique expérience de la grenouille, plongée dans de l’eau froide, que l’on chauffe peu à peu : le réchauffement progressif de l’eau laisse la grenouille longtemps insensible à la hausse de la température. Longtemps, elle reste tranquille. Puis, alors que la température continue peu à peu sa hausse, de centième de degré en centième de degré, d’un coup d’un seul, s’apercevant trop tard que l’eau devient trop chaude pour elle, la grenouille panique. La grenouille passe ainsi d’une longue et olympienne tranquillité, à l’état de pure panique – en un instant. C’est précisément ce qui se passe sur les marchés ces jours-ci. Explications.
Prenons un peu de hauteur : depuis la crise de Lehmann Brother, les banques centrales du monde entier ont injecté des milliers de milliards d’USD sur les marchés. Si ces injections monétaires ont permis au système financier et économique de ne pas « craquer » suite aux coups issus des conséquences de la crise des subprimes américains, elles ont également contribué à la formation de bulles sur la quasi-totalité des actifs mondiaux : bulle obligataire (taux négatifs), bulle immobilière (en France en particulier, mais pas seulement), et nous voyons depuis un an se former sous nos yeux la dernière bulle, celle des actions. Le levier dialectique qui a permis la formation de l’ensemble de ces bulles est la baisse constante des taux d’intérêts, depuis les années 1980, à peu près partout dans le monde développé, jusqu’à devenir des taux négatifs, comme en Europe aujourd’hui.
Or, depuis quelques années, l’économie américaine, presque seule, sort de la crise comme un train à grande vitesse sort d’un tunnel : la Banque centrale américaine, la première dans le monde développé, a cessé ses injections monétaires il y a deux ans ; la Fed a été la première également, à relever peu à peu ses taux d’intérêts, et l’inflation que tous croyaient disparue (pas nous !) commence à revenir aux USA en particulier. Peu à peu. Comme de l’eau qui chauffe lentement.
Et les marchés financiers sont comme la grenouille dans son eau, insensible et incrédule face aux taux d’intérêts américains qui grimpent peu à peu depuis près de 2 ans. En effet, pendant ce temps, de nombreux économistes américains et européens dissertent sur la disparition de l’inflation pour toujours; les théories de la « stagnation séculaire » comptent de nombreux et bruyants adeptes; l’idée s’installe qu’en l’absence d’inflation, les taux resteront bas pendant une période indéfinie, que les bulles n’éclateront jamais, que nous sommes dans le meilleur des mondes pour longtemps.
Même Philippe Waechter lui-même, le célèbre économiste de Natixis qui se trompe presque tout le temps, est entièrement d’accord avec ces analyses.
Or, pendant ces deux années, petit à petit, l’inflation a fait son retour aux USA, mais de façon imperceptible pour les acteurs du marché comme pour la plupart des économistes : l’inflation des salaires ne concerne d’abord que les petites entreprises américaines, peu regardées des marchés; les statistiques paraissent ambigües aux acteurs de marchés. Elles sont en effet difficiles à lire. Mais les taux montent, peu à peu, tous les taux : les taux directeurs, pilotés par la Fed, comme les taux long, pilotés par les marchés, les taux courts également. La platitude de la courbe des taux américaine annonce une crise. Mais la grenouille des marchés continue de ne rien sentir, et de s’accoutumer.
Puis, vendredi dernier, un énième très bon chiffre de l’emploi américain a été publié, avec une hausse attestée des salaires américains : d’un coup d’un seul, les investisseurs se sont réveillés brutalement, prenant conscience que les taux montent, et que l’inflation revient. Et que les conséquences de ce retour, même d’une faible inflation, sont incalculables.
Le changement de paradigme
Derrière la soudaineté épidermique de la réaction des marchés ces jours-ci, qui constitue à certains égards un point d’entrée pour certaines classes d’actifs, se joue plus durablement un changement fondamental de paradigme des marchés mondiaux. Voici ce qui change :
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Taux d’intérêts
Nous sommes en train de sortir d’une mouvement de baisse des taux qui dure depuis…1980 ! Pour entrer dans un cycle de hausse durable des taux d’intérêts, et de retour mesuré de l’inflation.
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Injections monétaires
Nous sortons d’une époque où les liquidités disponibles sur les marchés n’ont cessées de croître grâce aux injections monétaires des banques centrales du monde entier, pour entre dans une époque où non-seulement la liquidité mondiale n’augmente plus, mais commence à se restreindre : la banque centrale américaine, toujours en tête, a déjà commencé à réduire son bilan et à « reprendre » des liquidités sur le marché (30 milliards d’USD par mois sont retirés de la masse monétaire américaine); en outre, la BCE pourrait plus rapidement que prévu, peut-être dès septembre 2018 si l’on en croit Benoit Coeuré, Président de la Banque de France, arrêter ses injections monétaires; enfin, la BoJ (Banque centrale du Japon) commence à laisser s’installer l’anticipation d’une réduction de son soutien monétaire aux marchés et à l’économie.
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Valorisation des actifs
Last but not least, nous sortons d’une époque, post-Lehman Brother, où tous les actifs étaient sous-valorisés (les obligations, l’immobilier mondial, comme les actions), pour entrer dans une époque où la presque totalité des classes d’actifs sont en situation de bulle ou de quasi-bulle, à la faveur de taux d’intérêts historiquement bas pendant de longues années, et des injections monétaires des banques centrales.
Warren Buffet aimait à dire : « C’est lorsque la mer se retire, que l’on voit qui nage sans maillot de bain ».
Voici la situation nouvelle dans laquelle nous entrons durablement, celle d’une diminution progressive de la liquidité, de taux qui continuent leur progression, de dégonflement progressif ou non des bulles d’actifs : la mer se retire. Il faut sélectionner les actifs qui peuvent continuer leur croissance dans cet environnement beaucoup moins favorable. Tel est le défi des années à venir.
Que nous réserve l’avenir ?
Pour nous, nous identifions ce mouvement depuis fort longtemps. Nous n’avons jamais cru à la disparition de l’inflation, ni à la stagnation séculaire. Et nous parlons depuis deux ans déjà de la hausse des taux en cours, qui est et sera le cœur du dégonflement de l’ensemble des bulles sur les marchés mondiaux. L’ensemble des classes d’actifs sera concerné dans les années qui viennent, bien qu’il soit impossible de connaître à l’avance les dates du réveil de la grenouille.
Dans nos allocations de portefeuilles, nous évitons depuis deux ans environ, quasiment toute exposition directionnelle aux marchés, qu’il soient obligataires, actions, ou autre. Dans ce contexte durable de risque de dégonflement de bulles sur l’ensemble des classes d’actifs, nous ne détenons plus d’obligations en directionnel, nous préférons avoir recours aux rares sociétés de gestion capables de gestion différentielles (long/short, ou long/short global macro), pour ne pas être sensible aux fluctuations de marchés. Nos moteurs de performances ne sont donc pas, et depuis longtemps, la hausse ou la baisse des marchés actions, obligations, etc, mais les différences de performance entre le marché américain et européen par exemple, entre des devises, entre des taux d’intérêts. Nos portefeuilles sont donc quasiment totalement insensibles aux évolutions de marchés.
C’est ce qui nous a permis de traverser jusqu’ici très bien l’agitation soudaine des marchés financiers mondiaux de ces jours-ci.
Nous continuons dans cette voie – le scénario macro-économique dont nous sommes presque seuls à parler depuis deux ans au moins, est en train de se confirmer.
POST-SCRIPTUM
Nous tenons à préciser que si le scientifique allemand Friedriech Goltz a réalisé sur des grenouilles, en 1869, des expériences proches de celles qui sont décrites ici, il paraîtrait que l’expérience ci-dessus est une fable, qu’elle n’a aucun fondement biologique, ni n’a semble-t-il jamais été réellement réalisée en condition scientifique. Heureusement pour la grenouille !