Après la Fed, la BCE pourra-t-elle nous sauver?

Après la Fed, la BCE pourra-t-elle nous sauver?

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Taux d’emprunts négatifs, déflation, BCE : vers le retour des turbulences en zone euro ?

Les marchés financiers sont extrêmement volatils en cette première quinzaine du mois d’octobre : les marchés actions ont perdus de 10% à 15% en quelques jours, principalement en Europe, sans aucune reprise technique et dans d’importants volumes ; à l’inverse les taux obligataires ont nettement battus leurs précédents records à la baisse, montrant qu’ils jouent à nouveau leur rôle de valeur refuge. Avant-hier, le S&P500 a perdu presque 3%, et le taux à 10 ans a chuté en un seul jour de 50 points de bases – c’est un scénario qui n’a été observé qu’une seule fois, en novembre 2008, un mois à peine après la faillite de Lehmann Brothers. Est-ce un hasard?

Pourquoi un léger ralentissement d’une croissance mondiale déjà modérée et anticipée comme telle par les marchés, provoque-t-elle un tel tsunami sur les marchés financiers mondiaux ?

Nos portefeuilles

Depuis vendredi 10 octobre 2014, un certain nombre d’indices actions ont franchis à la baisse d’importants points de supports. Indépendamment d’éventuels rebonds techniques à venir, la tendance de fonds des indices actions, en particulier de la zone euro, où nous restons très peu exposés, est redevenue baissière, pour la première fois depuis juillet 2012.

Si nous sommes plutôt optimistes sur les surprises économiques à venir, en particuliers hors zone euro, la correction présente est pour nous le signe d’une nouvelle donne sur les marchés financiers.

Nous avons réalisé, hier, un arbitrage de précaution, visant en particulier à préserver nos plus-values depuis le début de l’année, et à traverser au mieux les moments de forte volatilité qui nous attendent vraisemblablement ces prochaines semaines…dans l’attente d’une réaction de la BCE ?

 


Vers un retour des turbulences en zone euro ?

Pourquoi donc un léger ralentissement d’une croissance mondiale déjà modérée, provoque-t-elle un tel tsunami sur les marchés financiers depuis début octobre ?

En effet, les informations, nombreuses, qui ont permis le déclenchement de cette forte baisse, font toutes signe vers un ralentissement de la croissance mondiale : un abaissement des perspectives de croissance économique dans le monde, mais particulièrement en zone euro, où l’Allemagne est dorénavant sérieusement touchée par la morosité de la zone; un mauvais chiffre d’inflation en Chine ; la déflation qui se confirme en zone euro; la chute du prix du pétrole (passé quelques minutes sous les 80 dollars le baril !).

Et ce ralentissement de l’économie a amené les investisseurs à regarder de manière particulièrement attentive la Grèce, qui revient dans la lumière des projecteurs, en annonçant son souhait de sortir plus vite du plan d’aide de la Troïka, alors que la Banque Centrale Européenne vient tout juste d’annoncer un assouplissement des règles financières pour les banques grecques, en raison de leur mauvaise santé financière malgré le plan d’aide européen.

En résumé, il se pourrait que le léger ralentissement économique constaté puisse entraîner une nouvelle crise sur les marchés, et qui pourrait être systémique en zone euro. Pourquoi? La vraie raison tient à l’opposition de phase de plus en plus dangereuse entre les banques centrales américaines et européennes. Mais pour le comprendre, il est important de revenir sur ce qui s’est passé sur les marchés depuis juillet 2012.

 


Le soutien de la Fed a été essentiel à la hausse des marchés

Depuis juillet 2012 environ, les marchés actions ont été emprisonnés dans une hausse permanente sans volatilité. Pendant ce long moment, soit la croissance économique était de retour, et alors les marchés pouvaient monter; soit la croissance toussait, et on pouvait alors compter sur la banque centrale américaine pour accroître ses injections monétaires en USD, pour soutenir le prix des actifs, et les marchés pouvaient monter également.

La crise financière en zone euro a été contenue pendant ces deux années par les injections en USD de la banque centrale américaine, ainsi que par la force de conviction de Mario Draghi, décidé à tout faire pour sauver l’euro (mais sans rien faire, jusqu’en septembre). Ainsi, que la croissance économique mondiale se confirme, ou qu’elle s’infirme, les marchés actions montaient, pendant que les financiers se jetaient sur les obligations les plus fragiles de la zone euro : on était en mode « risk on ».

 


Croissance aux USA versus déflation en zone euro

A ce jour, nous voyons, d’un coté de l’Atlantique, que l’économie américaine se porte bien mieux que ne le laisse entendre nos chroniqueurs aigris en zone euro (le chômage vient de passer sous les 6% !), les banques y ont été solidement recapitalisées par les injections monétaires de la Fed, celles qui ont du fermer l’ont fait sans déclencher la moindre crise de confiance ni la perte du moindre centimes chez les épargnants américains.

De notre coté de l’Atlantique, c’est hélas tout l’inverse : la zone euro, elle, bénéficie d’une croissance presque nulle, son système bancaire est extrêmement fragile, le crédit ne circule plus malgré des taux d’intérêts extrêmement faibles, le marché interbancaire de la zone euro est toujours presque bloqué, et la zone euro s’enfonce doucement mais surement dans la déflation. Ici, en effet, les statuts de la BCE l’empêchait d’intervenir de façon analogue aux autres banques centrales.

La différence entre le chaud américain et le froid européen amène la nécessité de politiques de banques centrales opposées. La banque centrale américaine (la Fed) devrait arrêter ses injections monétaires d’ici le mois prochain, et probablement augmenter ses taux courant d’année prochaine. La santé retrouvée de l’économie américaine ne nécessite plus aucune injection monétaire. Plus encore, si ces injections continuaient, la trop forte croissance économique américaine adossée à un coût trop bas de l’argent, risquerait de provoquer de l’inflation ou d’alimente plus que nécessaire des bulles diverses (obligations, immobilier…).

 


Le scénario « rose »

Que deviendra alors la zone euro dans deux mois, sans les piqûres de la Fed ?L’ensemble des investisseurs anticipaient ces derniers mois que, en raison de la grande fragilité de l’économie européenne, la BCE allait enfin prendre le relai de la Fed, et se mettre enfin à injecter de l’argent dans le système monétaire européen pour dégripper les verrous désespérément rouillés de l’économie de la zone euro. Les investisseurs sont allés jusqu’à rêver d’un QE à l’européenne, c’est-à-dire jusqu’à imaginer la BCE puisse financer directement l’emprunts d’Etat de la zone, et financer plus ou moins directement les entreprises par l’achat d’obligations.

Et la croyance en cette belle histoire s’est renforcée en septembre : Mario Draghi a annoncé de très fortes mesures de soutien à la zone euro, par un discours que l’on attendait depuis…2008 ! Il a imposé des taux de dépôt négatifs, pour obliger les banques à utiliser autrement l’argent qui leur est alloué qu’en le déposant à la BCE… Et il a ouvert les vannes de crédit aux banques (TLTRO). Formidable ! La zone euro a enfin une vraie banque centrale ! Ainsi, tout va pouvoir continuer comme avant, avec la BCE en soutien des marchés, en lieu et place de la Fed !

 


Octobre noir

Pourtant, à peine un mois plus tard, au début du mois d’octobre, Mario Draghi a refusé de s’avancer sur des chiffres de l’aide qu’il avait promises aux banques, et le vague de son intervention a douché les espoirs de voir la BCE prendre réellement le relai de la Fed. Une des raisons du fait qu’il ne se soit pas avancé sur des chiffres, est qu’il risque ce faisant de se tirer dans le pieds !

En effet, la première émission de prêts de long terme non-conventionnels par la BCE (appelés TLTRO) au courant du mois de septembre, s’est soldée par un « flop » heureusement passé sous silence ! Alors que les guichets de la BCE étaient grands ouverts pour prêter aux banques à coups de centaines, voire de milliers de milliards d’euro, seuls 82 petits milliards d’euros ont été sollicités par les banques…. Et bien évidemment ! Lorsque les banques empruntent de l’argent à la BCE, elles peuvent soit prêter cet argent aux acteurs économiques et financer l’activité, soit se le prêter entre elles, soit, si elles ne souhaitent ou ne peuvent faire ni l’un ni l’autre… elles redéposent cet argent auprès de la seule banque qui ne peut faire faillite : la BCE. Jusqu’ici, à peu près 95% des sommes injectées par la BCE dans les banques avec l’espoir secret qu’elles financent l’économie, …revenait sur les comptes de dépôts de la BCE. Mais depuis septembre, les banques ne peuvent plus redéposer les liquidités empruntées sur le compte rémunéré de la BCE – ou bien à un taux de rémunération qui est devenus négatif en septembre ! Et comme les banques de la zone euro restent très fragile au sein d’une économie en déflation, elles ne peuvent ni financer l’économie, ni financer les autres banques. Ainsi, elle préfèrent…ne pas emprunter l’argent que la BCE leur met à disposition !

On peut faire raisonnablement l’hypothèse que depuis début octobre, l’argent de la BCE n’intéresse plus que les banques réellement en très grande difficultés balancelles : celles qui ont tellement besoin de cet argent, qu’elles sont prêtes à « payer un taux d’intérêt négatif » sur leur dépôt à la BCE. Aussi, en cette bizarre zone euro, les banques ne sont toujours pas prête à financer l’économie réelle !

Et si, début octobre, Mario Draghi s’était engagé sur des chiffres et des montants de prêts à l’avenir, il faudrait pouvoir tenir ces objectifs !

De plus, il faut savoir que techniquement, un QE à l’américaine en zone euro est pratiquement impossible : en zone euro, les entreprises se financent majoritairement par l’emprunt bancaire, qui est aujourd’hui bloqué, et il n’y a pas de marché obligataire en zone euro sauf pour les très grosses entreprises. Ce qui signifie que l’achat d’obligations d’entreprises par la BCE ne contribuera que très peu au financement des entreprises en zone euro. Par ailleurs, la BCE ne peut en aucun cas financer directement les emprunts d’Etats, car le traité de Maastricht l’interdit tout simplement. Ici encore, elle ne peut que racheter des emprunts d’Etats…aux banques encore une fois, pour pousser ces dernières à en acheter.

Que peut-il faire, puisque les statuts de la BCE lui interdit toute action qui ne passe pas par les banques, et que celles-ci ne sont pas en situation de financer l’économie? Bien malin qui pourrait trouver la réponse…

 


Si la BCE ne prend pas le relais de la Fed

Si la BCE ne trouve pas de moyen pour prendre efficacement le relais de la Fed, alors que la Fed doit arrêter ses injections monétaires dans les deux mois qui viennent normalement, que se passera-t-il en Europe ?

Peut-être, sans doute, sûrement verrons-nous une aggravation de la crise économique européenne : le raffermissement du cycle déflationniste en zone euro, stimulé par la rareté continue du crédit, et peut-être un renchérissement du coût de ce dernier du fait de prochain relèvement de taux d’intérêt aux USA ?. Puis, en conséquence, la crise budgétaire va se voir aggraver : la déflation augmente mécaniquement l’endettement des Etats et des ménages. La crise financière pourrait suivre : en effet, si la BCE s’avérait impuissante (et elle l’est à moins de revoir ses statuts), alors l’espoir d’une intervention à bonne hauteur de la BCE pour contrebalancer les risques de baisse des marchés n’existera pas dans cette hypothèse. En outre, la raréfaction de l’argent lié à la fin des injections monétaires de la Fed, et l’augmentation de son coût outre Atlantique, pourrait avoir des conséquences très désagréables sur une zone euro en déflation et sans banque centrale véritable : une hausse même faible des coûts d’emprunts.

Enfin, nous pourrions voir le retour de la crise monétaire de l’euro ? Nous voyons déjà depuis fin juillet 2014 les taux d’emprunts négatifs revenir sur certaines émissions obligataires de l’Allemagne et de la France – ces taux négatifs sont le meilleur signe annonciateur d’un retour de la spéculation sur l’euro. Ils signalent ce que Mario Draghi a appelé dans son intervention du mois de juillet 2012 « le risque de convertibilité » – c’est-à-dire le souhait des investisseurs de se protéger contre le risque d’une explosion de l’euro.

 


Taux négatifs, banques, déflation : vers une nouvelle crise de l’euro ?

Nous avons vu cette anticipation prendre forme en particulier pendant les 15 premiers jours du mois d’octobre, même si elle se prépare depuis fin juillet de cette année : en effet, le moindre ralentissement économique devient extrêmement dangereux, si la Fed arrête effectivement ses injections monétaires en fin d’année et si la BCE ne parvient pas à trouver la solution miracle pour prendre le relai.

Et en effet, les informations, nombreuses, qui ont permis le déclenchement de la forte baisse du début du mois d’octobre 2014, font toutes signe vers un affaiblissement relatif de la croissance mondiale.

Depuis deux ans, lorsqu’un tel cas de figure se présente, les investisseurs anticipent une actions de la banque centrale et les marchés se maintiennent. Mais aujourd’hui, si nul ne doute de la détermination de la Fed à arrêter ses injections monétaires d’ici la fin de l’année, tous s’inquiètent à juste titre de la capacité de la BCE à prendre le relai.

Il y a donc trois conséquences logiques majeurs a cette anticipation :

Le retour de l’inquiétude sur la santé financière de la zone euro : et on a vu la Grèce, qui revient dans la lumière des projecteurs, en annonçant son souhait de sortir plus vite du plan d’aide de la Troïka – malgré la très grande fragilité de ses banques.

Le retour de la crise des dettes publiques : nous avons assistés et nous assistons depuis début octobre à une vente massive des obligations d’Etats des pays du Sud, dont les taux d’emprunts ont commencés à remonté ce mois-ci pour la première fois depuis juillet 2012; et à l’inverse, nous avons assisté à des achats tout aussi massifs des dettes solides de la zone euro (le Bund allemand notamment), et aux retour des taux négatifs sur certaines dettes d’Etat.

Enfin, il n’y a plus rien pour retenir la baisse des marchés actions – ni la Fed, ni la BCE ?

Voici donc comment un relativement léger « coup de mou » dans une croissance mondiale modérée a pu provoquer un tel mouvement de recherche de sécurité sur les marchés. Ce pourrait être l’annonce du retour prochain des turbulences sur la zone euro.

 

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